Le droit de rétention

Les créanciers bénéficiaires du droit de rétention

* Détenir un bien du débiteur

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Le droit de rétention est un des moyens de pression les plus efficaces pour être payé : le professionnel retient un matériel, une marchandise ou des documents qui lui ont été remis par le client jusqu'au paiement de sa facture. Ce droit peut être invoqué par différents créanciers - même simplement chirographaires - d'une entreprise mise sous sauvegarde (pour des exemples.

Le droit de rétention a été consacré par l'ordonnance 2006-346 du 23 mars 2006. L'article 2286 du code civil dispose désormais :

« Peut se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose :

1° Celui à qui la chose a été remise jusqu'au paiement de sa créance ;

2° Celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l'oblige à la livrer ;

3° Celui dont la créance impayée est née à l'occasion de la détention de la chose.

Le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire. »

Entrepreneurs. L'entrepreneur chargé de la construction d'un bâtiment n'est pas titulaire d'un droit de rétention sur ce bâtiment (cass. civ., 3e ch., 23 juin 1999, BC III n° 150).

* Fournisseur

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Le vendeur bénéficie du droit de rétention lorsque l'acheteur est mis sous sauvegarde. Le code de commerce prévoit expressément : « Peuvent être retenues par le vendeur les marchandises qui ne sont pas délivrées ou expédiées au débiteur ou à un tiers agissant pour son compte » (c. com. art. L. 624-14).

* Transporteur

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Le transporteur peut retenir des marchandises en garantie du paiement de ses factures, y compris des factures afférentes à des transports antérieurs (c. com. art. L. 133-7). Le transporteur dispose d'un droit de rétention sur l'ensemble des marchandises qui lui ont été confiées.

* Marchandises remises après l'ouverture de la sauvegarde. Il a été jugé que le droit de rétention du transporteur n'était pas limité aux seules marchandises qui lui avait été remises par le client avant le prononcé de son redressement judiciaire (CA Besançon 8 mars 2000, Sem. Jur. 2000, 259) ; cette solution serait transposable à la sauvegarde. La Cour de cassation a toutefois tranché dans un sens différent à propos du droit de rétention du commissionnaire.

* Autres garanties très importantes. Le transporteur dispose d'autres garanties pour être payé de sa facture. Ainsi, il a une action directe à la fois contre l'expéditeur et le destinataire, lesquels sont tous deux garants du paiement du prix du transport (c. com. art. L. 132-8). Autrement dit, si l'expéditeur est mis sous sauvegarde en laissant une facture de transport impayée, le transporteur pourra en réclamer le paiement au destinataire, même chose en cas de mise sous sauvegarde du destinataire. Si le transporteur a sous-traité la prestation, le sous-traitant peut réclamer le paiement de sa facture aussi bien à son donneur d'ordre qu'à l'expéditeur ou au destinataire (cass. com. 26 novembre 2002, n° 01-01056). Il faut noter également que le destinataire des marchandises est garant du prix de leur transport même s'il n'a pas donné son accord sur ce prix, et alors même que la marchandise lui a été livrée franco de port (cass. com. 15 mars 2005, n° 03-19295).

* Commissionnaire

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Le droit de rétention que le commissionnaire détient par application de l'article L. 132-2 du code de commerce comporte une particularité essentielle : il ne nécessite pas l'existence d'un lien entre la créance garantie et les marchandises détenues. Le droit de rétention peut être utilisé par le commissionnaire pour des « créances même nées à l'occasion d'opérations antérieures ».

* Marchandises remises après l'ouverture de la sauvegarde. À propos d'un client mis en redressement judiciaire, il a été jugé que le commissionnaire qui recevait encore des marchandises de ce client ne pouvait pas exercer sur celles-ci son droit de rétention pour le paiement de créances antérieures (cass. com. 13 novembre 2001, Sem. Jur. 23 mai 2002, éd. E, p. 855). Cette solution, contraire à l'arrêt de Besançon relatif au transporteur, serait transposable à un client placé sous sauvegarde.

* Précédente facture. Un commissionnaire de transport chargé de recevoir des marchandises et de les acheminer au destinataire après avoir effectué les opérations de dédouanement est en droit de retenir les marchandises pour obtenir de son commettant le règlement d'une facture émise pour un transport antérieur (CA Paris 18 mai 1994, D. 1995, 15).

* Autre garantie importante. Le commissionnaire qui a réglé le transporteur mais n'a pas été payé par son client peut utiliser l'article L. 132-8 du code de commerce et réclamer le règlement de sa facture à l'expéditeur (même si son client est le destinataire) ou au destinataire (même si son client est l'expéditeur) (cass. com. 2 juin 2004, n° 02-20535).

* Commissionnaire en douane. Par application de l'article L. 132-2 du code de commerce, le commissionnaire en douane bénéficie d'un droit de rétention (cass. com. 8 juillet 1997, n° 1841). Pour en bénéficier, il doit démontrer qu'il a effectué les formalités douanières en qualité de commissionnaire et non pas en qualité de transitaire (cass. com. 2 février 1999, BC IV n° 39).

* Garagiste

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Le garagiste auquel sont dus des frais de réparation ou d'entretien bénéficie d'un droit de rétention sur la voiture qui lui a ainsi été confiée. Il peut conserver le véhicule tant que sa facture n'est pas réglée.

Lorsque le garagiste remet le véhicule sans avoir été réglé, il n'a plus le droit de le retenir à l'occasion d'une seconde réparation pour obtenir le règlement des précédentes factures (cass. com. 4 décembre 1984, BC IV n° 328). Il existe toutefois une exception à cette règle : lorsque toutes les réparations découlent d'un même contrat (par exemple, un garagiste a en charge l'entretien des véhicules d'une entreprise), le garagiste peut retenir un véhicule pour obtenir le règlement des précédentes réparations.

* Façonnier

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Le droit de rétention accordé au façonnier s'applique de façon très large. Le façonnier peut retenir non seulement les produits déjà façonnés, mais également toutes les matières qu'il n'a pas encore façonnées dès lors qu'il les détient en vertu du même contrat. Il peut également retenir les machines remises par le débiteur en vue de la réalisation des travaux.

Lorsqu'il reçoit plusieurs matières premières pour les façonner, le fabricant a un droit de rétention sur chacune des pièces façonnées pour le paiement de la totalité de ce qui lui est dû. Par conséquent, si une partie des façons est restée impayée, il peut conserver toutes celles qui se trouvent encore chez lui jusqu'à ce qu'il soit payé de la totalité des façons.

* Expert comptable

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Les membres de l'Ordre des experts comptables peuvent exercer le droit de rétention (code des devoirs professionnels, art. 17) : l'expert comptable qui n'est pas réglé de ses honoraires peut retenir les documents qu'il a établis pour son client jusqu'au paiement intégral de sa créance. En principe, l'expert comptable est également en droit de retenir les documents qui lui ont été remis par son client pour qu'il effectue son travail ; mais il est impératif que ces pièces se rapportent au travail qui ne lui a pas été réglé. Cependant la jurisprudence ne paraît pas uniforme.

Jusqu'à présent, l'expert comptable a pu exercer son droit de rétention à l'encontre de l'administrateur judiciaire lorsque le client faisait l'objet d'une procédure collective. Cependant, l'article L. 622-5 du code de commerce dispose : « Dès le jugement d'ouverture, tout tiers détenteur est tenu de remettre à l'administrateur ou, à défaut, au représentant des créanciers, à la demande de celui-ci, les documents et livres comptables en vue de leur examen. »

* Administrateur judiciaire. Un artisan est mis en redressement judiciaire en 1996. L'administrateur judiciaire réclame à l'expert comptable les pièces comptables de l'exercice 1993. Celui-ci est en droit de s'opposer à cette demande tant que l'administrateur ne lui aura pas réglé les honoraires dus pour l'exercice 1993 (CA Versailles, 13e ch., 27 février 1997, Sem. Jur. 1998, 10134).

* Restituer les provisions d'honoraires. Un entrepreneur mis en redressement judiciaire doit des honoraires à son expert comptable. Celui-ci déclare sa créance au représentant des créanciers et refuse de remettre les documents comptables en sa possession, malgré les demandes de l'administrateur et du représentant des créanciers. Ces deux mandataires saisissent alors la justice ; les magistrats notent que la créance de l'expert comptable est contestée et lui ordonnent de remettre les documents. Cette décision est censurée : les juges n'ont pas précisé en quoi consistait cette contestation, ni en quoi elle pouvait être sérieuse. L'expert comptable a donc vu son droit de rétention reconnu. En revanche, il a été condamné à restituer deux provisions d'honoraires que lui avait versées l'administrateur pour établir le dernier bilan (bilan qu'il ne lui a pas remis) (cass. com. 22 janvier 2002, n° 185 D).